Charente-Maritime 

La fromagerie

de

SAINT PIERRE DE L'ILE

La Fontaine des Veuves

par Loulay

historique (1904-2003)

Cette coopérative laitière fut créée en 1889 sur la commune de St Martial de Loulay, au lieu dit « La Grève ». Cette usine déménagea à quelques kilomètres en 1904 pour s'installer à Saint Pierre de L'Ile, au lieu dit « La Fontaine des Veuves ». Une fontaine fournissait l'eau pure dont elle avait besoin pour la fabrication de son beurre.

De l'eau au beurre de la Fontaine des Veuves, il n'y a qu'un pas, ou plutôt de la crème. Malgré tous les aléas, de l'économie et des quotas, cette laiterie rurale a tenu bon, grâce à la qualité de son lait, à sa fraîcheur, au savoir faire de tradition. Grâce à tous ces éléments, elle produisit un beurre haut de gamme doux ou demi-sel connu dans toute la France, un produit cité dernièrement par Coffe, mais aussi à l'Elysée. Malgré une diversification des produits (plusieurs périodes de production de caséine et de fromages), et avec le contexte économique actuel, cette petite laiterie ne résista pas, et ferma ses portes en 2003.

1904-1909

Presque perdue au fin fond de la campagne Charentaise, à quelques kilomètres de St Jean d'Angély, depuis 1904, date de sa création, la laiterie de La fontaine des Veuves perdurait une tradition ancestrale, la fabrication artisanale de beurre. La laiterie de la Fontaine des Veuves promouvait son image de qualité et de sérieux à travers la France entière. Considérée comme la plus petite coopérative du département, elle n'en demeurait pas moins l'une des plus rentables.

« Construite en 1904, située près des eaux de cristal comme dit la légende, « La Chevalerie » vient de fermer ses portes. Il nous reste un sentiment d'amertume, nous la sentions si forte car elle avait su affronter beaucoup de péripéties, qu'elle avait toujours surmontées par sa gestion et sa renommée de beurre de bonne qualité fait a l'ancienne à la baratte, c'était un beurre très apprécié qui avait remporté de nombreuses médailles, elle était la seule dans la région qui avait résisté a l'évolution de grandeur que nous connaissons dans tous les domaines. »

« Il faut dire que cette laiterie a été créée pour les agriculteurs comme toutes les laiteries de la région . Une innovation qui nous a sauvé de la misère, car à cette époque la région était majoritairement plantée en vigne, le phylloxéra faisant son apparition et détruisant la totalité des vignobles, les agriculteurs viticulteurs furent désemparés, ne sachant que faire. Il restait une solution, augmenter le nombre d'animaux qui était en général de 2 à 4 vaches par ferme. »

« A cette époque le beurre se faisait à la main avec des moyens rudimentaires pour la vente. C'était le marché à St Jean d'Angely, 11km avec voiture à cheval, donc l'idée est venue de se grouper pour monter une laiterie. »

Aussi, la laiterie remporte la médaille de bronze au concours agricole de Paris 1906 pour ses beurres.

1910-1949

En 1910 est mise en service une chaudière à charbon, puis remplacée par une chaudière au fuel fournissant la vapeur dans les ateliers.

Pour la petite histoire, un très vieux carnet de livraison de lait datant de 1924, fait état du prix du lait. L'été le lait était payé 51 centimes le litre et l'hiver variait de 60 à 76 centimes le litre.

« J'ai vu fumer le tuyau de 30 m de haut où s'échappait une épaisse fumée noire de charbon, j'ai parfois respiré l'odeur des sardines grillées au beurre. bien entendu arrosée au vin blanc ! Il y avait le bruit des bidons de 80 litres qui se vidaient dans les cuves puis est venu le bidonnage individuel par petits bidons de 20 litres. »

« Pour transporter le lait des fermes à la laiterie, il y avait 11 laitiers avec charrettes à chevaux qui faisaient le ramassage des communes avoisinantes pour nous les agriculteurs qui étions dans les champs. Les laitiers servaient d'horloge, car ils passaient a une heure régulière. Pour celui qui avait un petit retard le directeur montait à la route et donnait des grands coups de sifflets, c'était des hommes qui d'après lui ne pouvaient s'absenter qu'exceptionnellement le jour de l'ouverture de la chasse (seulement le matin). »

« Les employés n'étaient pas montre en main. ils devaient faire le travail imposé. »

En 1920, il y avait 687 sociétaires et 12 tournées de lait données à l'adjudication, et le porte lait (laitier) devait marcher tous les jours. Il devait être poli et marquer le lait, demi litre compris.

Par contre, des laitiers il y en a eu de nombreux avec des charrettes à roues en bois, serties de fer. Des charrettes bâchées d'une toile noire, tirées par un cheval, les bidons de 50 litres voir de 100 litres posaient en équilibre dans cette carriole. Un des premiers laitiers des années 1900 fut Maurice La Pierre, sa femme le remplaça à la guerre de 14-18. Mais bien d'autres noms de laitiers pourraient être nommés ici, la liste serait longue (une quarantaine).

« Quelques années plus tard en 1928 est venue s'ajouter la caséinerie, ce qui était un bon complément de finances mais qui par moment avait des chutes brutales ce qui était assez désagréable pour la gestion. La vente de caséine était une aide précieuse, car elle était assez bien subventionnée, ce qui permettait à la laiterie de bien vivre.

Mais hélas ces dernières années, la concurrence venait de la Pologne avec des prix 50 % moins cher, et aussi avec le plastique produit de remplacement. Suite à cela, la fabrication de caséine fut arrêtée. »

1929 est une année importante avec l'électrification de l'usine.

« L'expérience Fromage avait déjà existé pendant la guerre, qui a fonctionné le temps des privations, de qualité très pauvre car son pourcentage était de 0,5 pour cent de matière grasse. »

1950-1970

Dans les années 1950, la Charente-Maritime compte une quarantaine de laiteries artisanales. Les camions remplacent progressivement les fameuses charrettes, et les bidons passent à 20 litres. Maintenant le ramassage se réalise en citernes.

En 1958, raconte M Flandrois (directeur de la laiterie en 1995), la matière grasse, très demandée, payait la totalité du lait, le lait écrémé était un sous produit. Maintenant ce n'est plus le cas, et une diversification permet d'établir un équilibre entre les diverses productions. Avec le lait, on tire la crème dont on fait le beurre. Avec du lait écrémé, on fait de la poudre de lait et de la caséine. Le procédé de fabrication Hatmaker est confirmé dans l'annuaire de l'industrie laitière de 1961.

Il faut noter que de 1965 a 1970 la laiterie de Fontaines des Veuves adhérait au Groupe CLAC (Centrale Laitière des Agriculteurs Charentais). Le siège social étant à Tonnay-Boutonne, et le CLAC regroupait en 1965 neuf usines du 17 et du 79. Le sérum, sous-produit des fabrications est vendu à l'union des coopératives pour être transformé en poudre et rentrer dans les farines d'aliments veaux (ONISVO). Cette laiterie à fabriqué du beurre ''cru'' ( crème non pasteurisée) dans une baratte en bois.

La cheminée circulaire en brique est démolie dans les années 1970.

1971-1995

« La laiterie avait aussi une porcherie comme beaucoup de laiteries, ou l'on faisait consommer le sérum et le petit lait, puis la crise du porc a l'époque a fait qu'il y a eu abandon, ce qui a donné suite à une vacherie en groupement d'éleveurs qui mettaient en location leurs animaux (190 vaches laitières, une cinquantaine de génisses pour le remplacement) ce qui donnait un complément de lait et permettait à la laiterie de mieux fonctionner. »

Malheureusement, l'arrivée d'une maladie bovine provoqua la diminution du cheptel bovin. Dans le même temps, l'industrialisation a eu raison des petites structures et la presque totalité des laiteries a périclité. Seules trois d'entre elles ont survécu, parmi celles-ci, la coopérative de la Fontaine des Veuves forte d'avoir traversé cette crise, qui n'a cessé de fabriquer du mieux possible son beurre.

1996-2003

En 1996, M Flandrois dirige cette laiterie aidé de deux beurriers, un aide beurrier, un caséinier et trois vachers. Le groupement de producteurs (huit propriétaires) est géré par la laiterie et le personnel de la laiterie. Du producteur au consommateur, il n'y a d'intermédiaire que le transporteur.

La journée de travail est conditionnée par l'heure d'arrivée du lait frais. Généralement, vers 6h00 du matin. Dés lors, tels les rouages minutieusement huilés d'une horloge, chacun de ces artisans du beurre va prendre son poste. La crème est aussitôt placée dans une baratte, sorte d'immense cuve en inox, pour y subir un brassage à 45 tours par minute, trois quart d'heure plus tard de petites boules de matière grasse (de la taille d'un grain de blé) sont recueillies et lavées deux fois avec l 'eau de la Fontaine des Veuves.

Finalement, trois heures sont nécessaires pour obtenir un produit emballé, prêt à livrer. La laiterie peut produire 500 kg de beurre par jour. Elle est désormais en mesure d'augmenter de 200 kg cette production. En effet l'arrivée de quinze nouveaux producteurs de lait, autrefois clients de la laiterie Loti (Fermée en 1993) vient de lui donner un nouveau souffle. Elle est aujourd'hui en étroite collaboration avec quarante-cinq producteurs laitiers. « N'est pas fournisseur de lait à la Fontaine des Veuves qui veut ». Chaque producteur doit satisfaire aux normes d'hygiène et de sécurité (en matière de santé des animaux) fixées à l'échelle européenne. C'est probablement la raison du succès de cette laiterie Charentaise. Depuis toujours, sa devise demeure la qualité et le savoir faire. Ici, on se fait fort de travailler le lait du matin, et de contrôler minutieusement la qualité des ferments utilisés. (Un beurre doux à 82 % Mg , en plaquettes de 125 grs ou 250 grs).

Dans le même esprit, la coopérative produit de la caséine. Protide contenu dans le lait et régulièrement utilisé dans la fabrication du fromage. Le savoir faire a su séduire au fil des années de nombreux artisans. Le beurre « Fontaine des Veuves » est distribué un peu partout, la laiterie possède une clientèle assidue aux quatre coins de la France. Les crèmeries spécialisées de Bordeaux, Blaye, Paris, Carpentras mais aussi de Dordogne, d'Alsace, sans oublier bien entendu les marchés l'été sur l'Ile d'Oléron et à St Jean d'Angély, font découvrir chaque jour la saveur et la finesse de ce beurre de qualité. Le « Gault et Millau » ne l'avait-il pas d'ailleurs citer dans l'un de ses numéros en 1998 ? Cette fidélité est due aussi à l'écoute et à la personnalisation du service. La commercialisation s'est accrue vers Rennes, Toulouse, la Gironde, la Normandie (au pays du beurre normand), l'est et le sud-est.

Malgré tout, pour résister au temps et à l'évolution de la demande, les responsables de la laiterie ont décidé de jouer davantage la carte de la diversité. Ainsi, depuis bientôt 1989, cette petite coopérative produit de la crème fraîche. Mais aussi un fromage de chèvre frais de 200 grs, moulé à la louche, une fabrication artisanale à 45 % de Mg. « Une petite production modeste aujourd'hui (seulement trois producteurs de lait de chèvre aux alentours) mais qui pourrait peut- être prendre de l'ampleur dans l'avenir ! »

M Flandrois prend en compte la période creuse de production laitière pour limiter sa clientèle car il ne veut pas décevoir en promettant un produit pour janvier à un client, alors que le lait se fait rare.

En dehors du beurre, la laiterie commercialise de la crème et produit aussi de la caséine. L'Italie, gros consommateur de caséine, l'achetait surtout en Pologne qui proposait des produits a moitié prix. Quatrième productrice mondiale avant l'éclatement des pays de l'Est, la Pologne a depuis vendu son cheptel d'état d'où la baisse de production. Le niveau de vie des Polonais a augmenté et consomment davantage, ainsi ce pays n'exporte plus de lait mais en importerait presque. Cette évolution a donc ouvert un marché pour la France et la coopérative laitière de la Fontaine des Veuves est entrée dans ce créneau. D'où l'embauche d'un caséinier.

En 1996, la laiterie envisageait d'embaucher un technicien et peut-être de lancer la production de fromages en complément de celle du beurre. Ce qui aurait permis de résoudre en partie les problèmes de livraison dont le coût était très élevé et qui obligeait souvent la coopérative à s'associer avec un producteur de fromages de chèvres pour grouper les livraisons.

De plus, cette année là, d'important travaux furent réalisés pour la mise aux normes Européennes des installations. A noter que à cause des pesticides, la laiterie a dû prendre l'eau sur le château d'eau les dernières années.

Monsieur Flandrois voyait l'avenir assez sereinement : « Notre beurre n'est pas un produit industrialisé, mais un produit haute gamme, vendu dans un réseau commercial très spécialisé, de petits commerces, pour une clientèle qui est à la recherche de l'authentique et du bon. »

En 1996, le chiffre d'affaires de la laiterie s'élève à 9,180 MF, en augmentation par rapport aux années précédentes.

La production de lait a été de 3,9 millions de litres pour la période 1994-1995, qui ont donné 175 tonnes de beurre, 15.445 litres de crème, 3,4 millions de lait écrémé dont on a tiré 449.480 litres de sérum et 14 tonnes de caséine.

Il faut 22 litres de lait pour faire 1 kilo de beurre, 10 litres pour un litre de crème, 33 litres de lait écrémé pour un kilo de poudre et 16 litres pour un litre de lacto- sérum.

La société coopérative était gérée par un Conseil d'Administration de I0 membres comprenant un Président, un Vice-President, un Trésorier, un Directeur employant 5 a 8 personnes.

Se sont succédés 9 Présidents et 5 Directeurs :

1904 Président MARTIN E. - Directeur BOUCHET M.

1910 Président AUGER Olivier - Directeur BOUTIN Achille

1914 Président BABOU Edmond - Directeur BABOU Edmond - Comptable GIRAUD Gaston

1920 Président AUGER Olivier – Directeur BABOU Edmond - Comptable GIRAUD Gaston

1951 Président PLUCHON André - Directeur BRIAND Maurice

1986 Président GROUSSET Robert - Directeur FLANDROIS Jacques

1993 Président POULAILLEAU André - Directeur FLANDROIS Jacques

1995 Président POMMIER Bruno - Directeur FLANDROIS Jacques

1999 Président POMMIER Bruno - Directeur LIEBY Michel

2003 Président PONIMTER Bruno

Avant la fermeture, hormis son directeur M Jack Flandrois, seuls quatre employés travaillaient six jours sur sept (sauf le dimanche et les jours fériés) à la laiterie.

Mais le beurre, fleuron de la production, n'en représentait pas l'essentiel. Le chiffre d'affaires était principalement lié à la vente de lait-écrémé, et sur ce marché c'est le « marasme ». Le président du conseil d'administration de la coopérative Bruno Pommier, se souvient : « les vraies difficultés ont commencé à la fin de l'année 2001 » avec le net repli des Etats-Unis, jusque-là gros importateurs. Et à ceci est venue s'ajouter une hausse de la production de lait à l'échelle mondiale. Il affirme que le beurre se commercialise toujours très bien, mais constat amer: Nous étions la plus petite laiterie de Poitou-Charentes. 

Une crise de deux ans c'était trop pour nous. Résultat: sept salariés vont devoir être licenciés fin juin 2003. Seule subsistera une structure permettant la gestion du lait qui sera désormais vendu à la coopérative de Pamplie (Deux-Sévres), produisant elle aussi du beurre de baratte: *** Beurre Extra Fin Fontaine des Veuves - Fabriqué en baratte et conditionné par la Laiterie Coopérative 79220 Pamplie *** ( usine : F. 79. 200. 001.CEE)

« Je compare la laiterie de la Fontaine des Veuves a l'usine Malvaux ce qu'elle a été pour Loulay et le canton. Pour nous les voisins, cette laiterie était une chose vivante, devenue brutalement une chose morte nous en avons le cœur meurtri. Nous gardons l'espoir qu'un jour ces bâtiments inoccupés redeviendront utiles a quelque chose. Son parcours fut assez long, 99 années, c'est un bon bail, mais nous pensions qu'elle aurait encore été plus loin, nous pensions fêter son centenaire courant 2004, ce que nous ne pouvons que regretter. »

Jean-Pierre Chatelier, le maire de Saint-Pierre-de-l'Ile, rappelle qu'ici la vie s'est longtemps axée autour du lait, du fromage et du beurre. Avec la fermeture de la laiterie de La Fontaine des Veuves, c'est la sauvegarde de tout un ensemble de pratiques, d'outils et de savoir faire qui est en péril. Mais pas question de se laisser abattre. Il évoque une volonté de mémoire et se dit très motivé avec tout le conseil municipal, pour conserver quelque chose de représentatif à La Fontaine des Veuves.

Il est prévu de réaliser un film pour que ne s'oublient pas les techniques artisanales de fabrication du beurre. A plus long terme, on pense même faire revivre le métier de beurrier à travers une production non plus commerciale mais démonstrative, à l'attention du tourisme. Dans un coin du nord de la Charente-Maritime ou, il n'y avait pas si longtemps, on pouvait encore rencontrer une laiterie tous les « deux kilomètres » selon les propres dires du maire, nul doute qu'une telle entreprise serait accueillie avec enthousiasme.

Elle s'annonçait superbe, la Fête du centenaire de la coopérative laitière prévue pour l'an prochain. On n'était pas peu fier dans ce petit village de 256 habitants de cette laiterie qui depuis 1904, a toujours privilégié la méthode artisanale des anciens, et avec succès ! Si pour beaucoup, ce beurre devait son goût inimitable à la légende chevaleresque rattachée à la source, qui, des années durant, a alimenté la laiterie, la vrai raison est plutôt à chercher du côté du procédé de fabrication. Ce beurre baratté rencontrait un grand succès chez les fins gourmets ainsi que chez les plus grands chefs Parisiens qui se l'arrachaient.

Au pied de la laiterie, une fontaine qui fait couler beaucoup de larmes, celles des six malheureuses veuves massacrées par les Anglais, dit la légende.

Documents & témoignages : Patricia Fournat 2004 du journal Sud Ouest du 18 juin 2003 + interviews d'un ancien employé en 2004, d'un habitant de St-Pierre-de-L'Ile, de M Flandrois, d'une personne du village en 2009 + document de 1996 de Claudine Sylvano + AIL. Rédaction et mise en page par Marcel Gousseau et Eric Delpierre

retour